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Les rimes visuelles

 

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                                                                                                               Les belles lettres d'Henry. Photo O. D.

 

 

     Les rimes visuelles

 

     Depuis la si marquante exposition des œuvres de Yves Juhel dans la demeure du club de golf de Kerbernez, en Finistère, j'ai le bonheur d'avoir accès, de temps à autre, à quelques grands formats du peintre. Des 150 par 150 ou 200 par 200. Des paysages. Des huiles sur toile, travaillées à l'ancienne, pleine pâte. Deux tout particulièrement dans les rouges et orangés de terres surchauffées de soleil, brûlées, à y voir le loin trembler comme dans un mirage, le sol et le ciel ne faisant plus qu'un, strates toutes braisées d'un même sil.

     En avoir un devant soi, c'est se retrouver face à une baie vitrée ouverte sur l'Afrique où se bartholdent, ici et là, libres, solitaires, les baobabs, ou sur un crépuscule d'Iroise quand il n'y a plus d'autres terres que les îles de lumière.

     Mais il est une autre œuvre de Juhel qui, depuis que j'ai eu la chance de découvrir cet ensemble de toiles, m'a toujours inspiré sage joie. C'est un format vertical, grande taille, ce qui donne à sa présence la densité silencieuse d'une réalité debout. Il s'agit à n'en pas douter d'un bouquet surdimensionné ou d'un arbuste dont les feuilles frémissent, grisées, grisantes de jeunesse. Nulle tige visible, ou branche, c'est selon, nulle couleur définissable, ou nuances d'un ton qui évoquât ou précisât un nom; juste ces fleurs ou feuilles, aériennes, s'élevant comme en un tourbillon de blancs, de gris, d'argents, dansant dans le léger. Et depuis le début, depuis la première fois où j'ai vu ce tableau, je n'ai pu résister au bonheur d'y lire une peinture d'ailes d'anges, des ailes flottant en un bouquet, un entr'aperçu offert comme ça, en cadeau pour miro sans accent sur le O, du ciel tel un brin de muguet quand les jours incertains n'ont rien d'un premier mai.

     L'œuvre est là, devant moi, et chaque fois que mon regard s'y arrête, j'en éprouve une calme insouciance, une paix rebelle et discrète.

                         Voilà...

     Or, et cela n'a rien à voir, j'ai depuis quelque temps l'œil rivé au passage de la Genèse ayant trait au meurtre d'Abel par son frère Caïn. Le premier crime. L'assassinat primordial. Les mots sont là, à cette même page du livre ouvert devant moi, matin après matin, semaine après semaine. C'est sous mes yeux, et je n'y entends pas.

                         Un tableau, et un livre ouvert.

     C'était hier, le 25 mars, l'Annonciation, la journée bien sûr la plus poétique de l'année, celle où je parviens enfin à trouver au temps quelque rime, et à propos de rime, pour un personnage, j'en étais venu à mettre en parallèle un guéridon de Georges Braque et une guitare jaune de Juan Gris. Oui, une association, une sorte de collage imaginaire, pour tout dire un jeu de rimes visuelles, de celles qui rendent si heureux et qui font dire quand on met le nez dehors, histoire de changer d'air, d'histoire et de personnages : "Tiens, le ciel est jeune aujourd'hui; et son bleu est moderne..."

                         Guitare, Juan Gris.

                         Juan Gris, "Le papier à musique" (huile de 1914).

                         Guitare, musique.

     Caïn, Abel et la musique. Ca m'est revenu, l'Oratorio d'Alessandro Scarlatti : Il Primero Omicidio. Retour à la maison, l'Oratorio, le morceau n° 21 : "L'Olocausto del tuo Abelle"... Sublime. En boucle... En boucle le reste de la journée et le regard allant du livre, là, ouvert, toujours ouvert à la même page, à la toile d'Yves Juhel, la présence debout du bouquet d'ailes d'anges.

                          Et j'ai vu

                                      ou plutôt, je suis parvenu à lire enfin quelque chose dans ces lignes. Parvenu à faire résonner en moi ces rimes visuelles. Alors je suis allé murmurer à l'oreille du personnage ce que j'étais parvenu à lire dans le livre ouvert. Il m'a regardé. A regardé la toile de Yves Juhel. Puis il est sorti. Il est sorti dehors.

                                                              Et n'est toujours pas rentré. 

 

Henry Le Bal, mars 2015

 

 

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       N° d'inv. 187. Photo Pierre Juhel

 

Homme de lettres, de théâtre, de lumière, d'art, Henry Le Bal a très amicalement répondu à ma demande d'écrire un texte inspiré par l'œuvre d'Yves Juhel. Depuis maintenant trois ans, Henry s'intéresse en effet de très près à ce travail, au point d'avoir porté cette fameuse exposition organisée au printemps 2013 à quelques encablures de Quimper, dans le Finistère. Depuis, il accueille toujours, dans son écrin quimpérois, la Galerie de Bretagne, quelques tableaux d'Yves. En lui faisant cette demande, j'étais toutefois loin d'imaginer la beauté des mots qu'Henry allait faire vivre sur papier, écrits comme à son habitude à la plume Sergent-Major. Pour ces mots, pour cette confiance, pour ta fidélité à l'œuvre, merci Henry...

Olivier Desveaux

 

Commentaires

  • ...Emue jusqu'à en pleurer...Merci Monsieur LE BAL...

    Liliane

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