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Petite biographie

 

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                              Yves Juhel à l'Artsenal en 2000 ou 2001 (1er rang, 2e en partant de la gauche). Photo DR

 

 

J'ai écrit la petite biographie ci-dessous début 2013, à l'occasion de l'exposition montée au domaine de Kerbernez, à Plomelin (29).

 

18 août 2003. Yves Juhel s'éteint, à l'hôpital de Bastia. Quelques jours plus tôt, il a chuté lourdement de vélo, sur une petite route, à quelques kilomètres de Moïta, village de Haute-Corse auquel il était très attaché. Il n'a que 34 ans, et laisse un vide immense chez tous ceux qui l'ont connu. Il laisse aussi près de 600 tableaux. Déjà une œuvre...

 

Autodidacte, libertaire, attaché à son indépendance, droit et exigeant, Yves Juhel se voue à la peinture vers la fin des années 80. En 1988, il se distingue en proposant deux tableaux d'une beauté sombre, lors d'un salon consacré à des artistes locaux, à Bondy, en Seine-Saint-Denis, où il vit. C'est sa première exposition. Entre marines, natures mortes et autres portraits de peintres amateurs, l'enfant africain mort dans les bras de son père stupéfie la sensibilité du visiteur.

 

Ses premiers tableaux, dont il reste très peu d'exemplaires, expriment noirceur et profondeur. L'exigence guide déjà son travail. Il détruit, brûle, racle ses toiles, repeint par-dessus ses œuvres. Les couches s'accumulent. La toile est chère. La peinture, le bois pour les châssis, aussi... 

 

Yves Juhel est un peintre solitaire. Pendant des années, il travaille dans la maison familiale. "Je me souviens bien que ses premières compositions n'attiraient pas que des remarques laudatrices", raconte son frère, Pierre. "En fait, certaines de ces toiles, "expressionnistes", étaient à mon avis déjà réussies, mais un peu "hard" pour trouver un public".

 

Le milieu des années 90 marque un grand tournant, dans sa vie de peintre. En 1994, il intègre un squat artistique, à Paris. L'initiateur de ce lieu de travail collectif,  le peintre et sculpteur René Strubel, va lui faire rencontrer de nombreux créateurs. "Ce squat n'avait d'autre ambition que de donner la possibilité à quelques artistes d'exercer leur art", se souvient le sculpteur Bruno Supervil, qui lui aussi est de l'aventure, et qui va se lier d'une fidèle amitié avec Yves Juhel.

 

Le jeune peintre ne vit pas de son œuvre. A partir de 1996, pour tenir, il exerce le métier de marchand d'art, et se spécialise dans les bronzes animaliers du XIXe siècle. Parallèlement, il parvient à exposer certaines de ses toiles lors de divers événements. Mais cette recherche de reconnaissance, de visibilité, prend du temps, de l'énergie, et peine à porter ses fruits.

 

Fin 1998, il rejoint les ateliers collectifs Artsenal-Sonamou, à Issy-les-Moulineaux, aux portes de Paris. Créée en 1991 par des artistes coréens, l'association Sonamou loue au ministère de la Défense un ancien arsenal, où elle a installé 46 ateliers d'artistes. Lieu et association sont autogérés. Travail, solidarité, rencontres... L'Artsenal donne à Yves Juhel la possibilité de s'exprimer pleinement, en grand format. Il y retrouve Bruno Supervil, partage beaucoup avec un autre sculpteur, Philippe Desloubières. La période est riche, pour lui. Il est toujours très exigeant. "Il était assez critique envers les autres artistes pour l'être envers lui-même", se rappelle Bruno Supervil. C'est là que naissent ses grandes séries, ses bouquets, ses paysages, ses premières thématiques animalières, nourries au contact des bronzes qu'il côtoie quotidiennement. Son spectaculaire "Grand cerf", exposé aujourd'hui à Kerbernez, voit le jour à l'Artsenal, notamment. Au fil des années, son œuvre prend corps. Sa peinture devient plus spontanée, plus instinctive. Se voulant un peintre "dans la tradition", "s'inspirant des anciens", comme il l'écrit lui-même, il travaille dans le mouvement. Il peut peindre énormément sur une courte période de quelques jours, de quelques semaines. Un rythme d'une extrême intensité, alternant avec des périodes plus calmes, du moins en apparence. Parfois en quête d'une nouvelle inspiration, de nouveaux thèmes à habiter. Parfois aussi pour des raisons plus matérielles.

 

A l'automne 2000, la plupart des artistes doivent quitter l'Artsenal, voué à la démolition. La maison familiale de Bondy étant vendue, il peint un peu dans son appartement, trop petit. Lui, le peintre du mouvement, du grand format, manque d'espace. Il délaisse l'huile, s'empare de l'aquarelle, de la gouache, réduit les dimensions de ses tableaux, et cherche un local. Prêt à quitter la capitale, il prospecte un peu partout. "Je me rappelle qu'il s'interrogeait sur où et comment trouver un atelier sur Paris et que, devant l'écueil financier, il avait décidé de transformer une des pièces de l'appartement de Moïta en atelier", note son frère. Moïta, c'est ce village de la Castagniccia, perdu dans la montagne. Celui de sa famille maternelle. S'il consacre encore une part de son temps à son activité commerciale, Yves Juhel se réfugie aux beaux jours en Corse. Il est là-bas chez lui, et reconnu comme tel. Il donne des coups de main aux uns et aux autres, joue à la pétanque avec les anciens, se balade beaucoup. Et surtout, il peint. Des animaux, encore et toujours. Cochons, chèvres, moutons, vaches, ânes, souris... Toute cette faune qu'il côtoie y passe. Il se lance également dans le portrait, et dans l'autoportrait. Deux ou trois années d'équilibre trouvé, entre Paris et Moïta. Avant l'accident...

 

Yves Juhel est enterré là-bas, face à ces montagnes qu'il aimait tant, au plus près de ces gens qui l'avaient accueilli comme un des leurs. En écho à l'un de ses tableaux, sa tombe porte un bouquet, inscrit dans la pierre blanche par un de ses amis tailleur de pierre. L'atelier de Moïta est vide. Après son accident, en cet été 2003, on y a retrouvé ses dernières œuvres, ainsi que des fonds d'aquarelle. On ne saura jamais ce qu'il avait encore à dire. On ne saura jamais ce qu'il avait encore à nous offrir.

 

 

Olivier Desveaux

A Quimper, les 4 et 22 février 2013

(Quelques corrections apportées en 2014 et 2016)

 

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